Résonances

Publié le par ideesmobiles.over-blog.com

Ces jours-ci deux sources de réflexion très diverses entrent en résonance, un phénomène que je trouve particulièrement inspirant.

 

La première source est le commentaire de Verel sur mon post d’interrogation de la transmission de la violence. Il fait référence à l’un de ses anciens articles sur le sujet où il parle du livre de René Girard La violence et le sacré (ça se passe ici :  http://verel.typepad.fr/verel/2009/09/un-de--mes-amis-ma-fait-d%C3%A9couvrir-ce-livre-de-ren%C3%A9-girard-auquel-jai-consacr%C3%A9--avec-beaucoup-dint%C3%A9r%C3%AAt-que.html ). La théorie telle qu’exposée par Verel (je n’ai pas vraiment le courage d’aller vérifier directement chez l’auteur) est centrée sur un désir de violence réciproque et un phénomène de mimétisme du désir et de la violence, violence qui est ensuite canalisée par la société et la religion vers des boucs émissaires selon un rite sacrificiel. Verel (pour autant que j’ai bien compris son article) semble y ajouter une réflexion personnelle sur l’origine de la violence expliquée par la compétition entre mâles introduite par l’exogamie.

 

La théorie est certainement intéressante et élégante mais semble peu compatible avec les conclusions de cet article de Richard Tremblay (criminologue) découvert en recherchant des éléments sur la transmission de la violence : http://www.criminologie.com/article/d%C3%A9veloppement-de-lagressivit%C3%A9-physique-depuis-la-jeune-enfance-jusqu%C3%A0-l%C3%A2ge-adulte

Richard Tremblay y montre que contrairement aux idées reçues, la violence apparaîtrait spontanément chez les très jeunes enfants, commencerait par augmenter avec l’âge avec une fréquence maximale atteinte vers 3-4 ans puis décroitrait. L’auteur insiste sur le fait que cette violence est très largement occultée par le fait que ses conséquences sont très limitées : un trottineur de 2 ans qui pique une colère ça fait moins de dégâts qu’un ado de 16 ans ! Il montre également (études scientifiques statistiques à l’appui) que la minorité des enfants qui n’ont pas appris à maitriser leur violence avant l’école primaire présente un risque plus élevé d’avoir des comportements violents pendant l’adolescence.

 

Cette étude m’a fait prendre conscience que j’avais effectivement été témoins de ce phénomène chez ma fille (4 ans) qui a effectivement développé une violence spontanée qui est maintenant très largement décroissante. Il ne fait pas de doute que le mimétisme est l’un des principaux moyens d’apprentissage chez les jeunes enfants mais il me semble au vu des éléments de l’étude criminologique que ce mimétisme ne joue pas de la manière présentée par Verel. Le mimétisme jouerait plutôt comme une inhibition de la violence naturelle (on imite les adultes qui savent maitriser leurs pulsions violentes) et les personnes violentes seraient celles chez qui cette inhibition n’aurait pas fonctionnée, soit parce que leurs modèles d’adultes n’arrivaient pas suffisamment à maitriser leur violence soit parce que pour diverses raisons ces modèles n’ont pas été suffisamment opérants. Mais il s’agit ici de ma part de spéculations qu’il faudrait vérifier par des études rigoureuses…

 

La deuxième source est un article du monde d’un ethnologue à propos du stress des cadres demandant si les cadres sont les nouveaux OS du  XXème siècle :

 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/31/les-cadres-sont-ils-les-nouveaux-os-du-xxe-siecle_1471793_3232.html

 

On peut déjà remarquer impertinemment que l’auteur date un peu : le XXème siècle est déjà terminé depuis 11 ans ! Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. L’auteur avance la thèse que les cadres subissant un excès de stress au travail seraient victime d’une perte de sens de leur travail lié à la parcellisation des tâches leur incombant. Comme les OS sur les chaînes de montage dont le travail a été vidé se son sens car devenu trop atomisé et réduit à une tâche quasi mécanique et très répétitive, le cadre moderne n’aurait plus de maitrise de l’ensemble du processus de son travail, verrait son action réduite à des tâches simples et répétitives et la perte de sens qui en découlerait serait à l’origine de sa souffrance au travail…

 

Là encore la thèse est élégamment présentée, avec tous les oripeaux communs aux sciences humaines modernes, et peut sembler séduisante. Sauf qu’il se trouve que je connais un peu le sujet vu que j’ai moi-même été victime de cette souffrance au travail dont il est question et que deux de mes proches ont également été atteint récemment. Pour séduisante qu’elle soit, cette thèse est absolument dépourvue de fondement tout au moins pour les trois cas dont j’ai connaissance. Le problème de la souffrance au travail pour les cadres n’est principalement pas lié à une restriction de leur responsabilité et de leur autonomie mais à une inadéquation entre ces responsabilités souvent assez large et les moyens disponibles pour y faire face. Dans mon cas particulier, le problème principal était une charge de travail importante avec une très large autonomie dans la gestion de mes projets en inadéquation avec une fatigue physique réelle dont la cause était ma maladie non encore diagnostiquée. Aucun problème de taylorisation du travail du cadre, bien au contraire, des responsabilités larges et une maitrise assez complète de l’ensemble de mes projets mais un problème de moyens physiques et psychiques pour y faire face et une absence de soutient adéquat de la part de l’environnement de travail (hiérarchie, collègues). Je ne souhaite pas développer les deux autres cas dont j’ai connaissance mais ils relèvent tout à fait du même mécanisme.

 

Alors me direz-vous, quelle résonnance entre ces deux éléments ? Le point commun est la démarche adoptée par les auteurs. Dans les deux cas ces anthropologues ont bâti de très belles théories basées sur une réflexion logique et rigoureuse… mais qui ignore tout simplement la réalité des faits. A ces considérations purement spéculatives, je préfère très largement la rigueur de la démarche scientifique pure qui confronte en permanence ses théories aux faits, bâti soigneusement expériences et analyses de données statistiques pour valider ou invalider ses hypothèses et surtout ne se permet pas d’affirmer ses théories tant qu’elles n’ont pas été validées par cette confrontation.

Publié dans Société

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