Actionnaires prédateurs ?

Publié le par ideesmobiles.over-blog.com

C’est au moins la troisième fois que je lis dans Alternatives Economiques que les entreprises ont distribué en dividende plus que leurs bénéfices. La dernière occurrence est dans le point de vue signé par Denis Clerc de l’édition de janvier 2011 sous le titre « Prédateurs ». Dans certains cas cette affirmation était même assorti d’affirmation comme quoi les entreprise s’endettent pour payer des dividendes.

 

Les premières fois je me suis un peu étonné : cette affirmation allait à l’encontre de mon expérience de la bourse où la distribution de dividende supérieurs aux bénéfice existe mais est rarissime et en général transitoire : lorsque la direction d’une entreprise voit une chute brutale des bénéfices et qu’elle anticipe que l’année suivante les choses rentreront dans l’ordre, par exemple lorsque l’entreprise procède à une dépréciation d’actif exceptionnelle. Si l’année suivante les choses ne s’améliorent pas, cette politique de distribution n’est pas reconduite car elle conduirait rapidement à un gros problème de liquidité. De là à observer que les entreprises dans leur ensemble se livreraient à cette pratique de façon massive au point que ce soit observable dans la comptabilité nationale, cela m’a plutôt surpris. En temps normales les entreprises cotées ne reverse qu’une fraction de leurs bénéfices sous forme de dividende, en général entre un tiers et la moitié et 2009 ne fait pas exception à la règle pour la plus grande majorité d’entre elle. Plusieurs hypothèses m’ont effleurées :

-         L’information est fausse, issue d’une erreur d’estimation. Les premières citations ne citant pas leurs sources et s’inscrivant en général dans un article assez orienté politiquement, cela pouvait être envisagé mais Denis Clerc cite chiffres et sources et cela semble crédible.

-         Les société cotées ne seraient pas représentatives de l’ensemble du tissus économique. Après tout, même si la majorité des plus grandes entreprises françaises est cotée, les entreprises cotés ne sont pas les plus nombreuses et l’ont peut supposer que le mode de fonctionnement des entreprises non coté et en particulier leur politique de distribution de dividende soit différente de celle des entreprises coté qui constituent ma référence. Cette hypothèse semble peu probable : si l’on peut imaginer que quelques entreprises non cotés victimes de LBO reversent l’essentiel de leurs bénéfices à leur maison mère pour permettre à celle-ci de payer les dettes contractés pour leur rachat, il ne me semble pas y avoir grand intérêt à ce que ces dividendes aillent au delà des bénéfices. Cela reviendrait à transférer les dettes de la maison mère à la filiale et j’imagine qu’il y a des moyens beaucoup plus directs et efficaces pour le faire. D’autre part les entreprises victimes de LBO ne sont pas non plus légion et ne doivent pas peser dans l’ensemble des entreprises au point de contrebalancer la pratique très majoritaire des entreprises cotées. Alors ce serait les autres entreprises non cotées, celles qui sont majoritairement propriété d’actionnaires individuels qui massivement verseraient des dividendes supérieurs à leurs bénéfices ? Cela semble peut probable, ces actionnaires individuels, en général les fondateurs et leurs proches ont à mon idée au contraire tendance à avoir une distribution de dividendes très parcimonieuse, réinvestissant massivement les bénéfices pour le développement de l’entreprise qui constitue l’essentiel de leur vie.

 

Alors que se passe-t-il ?

 

A mon humble avis non autorisé (j’ai pas fait d’études d’économie et je m’intéresse à ça qu’en dilettante) Denis Clerc est victime d’une illusion statistique en rapprochant deux chiffres structurellement non comparable car assis sur des bases de calcul différentes :

-         Le chiffre des dividendes n’inclus que les entreprise ayant effectués des bénéfices. En effet en cas de perte, les actionnaires ne se voient pas contraints de payer un dividende négatif. C’est bien eux qui in fine vont encaisser ces pertes mais cela ne se traduit pas par un dividende négatif, c’est la valeur de l’action qui est impactée.

-         Le chiffre cumulé des bénéfices inclus toutes les entreprises : les pertes des unes se retranches des gains de autres, tout est additionné.

 

On se rend bien compte du peu de pertinence de la comparaison des deux chiffres en prenant un cas extrême : Si toutes les entreprises de France avaient fait des pertes sauf une qui ait réalisé un bénéfice et distribué un dividende, le chiffre des bénéfices serait très négatif tandis que le chiffre des dividendes resterait positif car il l’est structurellement par construction.

 

Donc que nous indique le fait que les dividendes reversés par les entreprises bénéficiaires soient supérieurs aux bénéfices agrégés de toute les entreprises : Rien si ce n’est qu’il est probable que de nombreuses entreprises ont enregistrées des pertes comptable. Est-ce que cela signifie que les entreprises se sont endettées pour payer des dividendes ? Non car dans l’immense majorité des cas ce ne sont pas les mêmes entreprises qui ont payé des dividendes et enregistrées les pertes. Appliquer à des agrégat un raisonnement identique à celui appliqué à l’un de ses élément ne semble pas ici pertinent. Il ne faut pas oublier qu’il est tout à fait normal qu’un nombre non négligeable d’entreprises enregistrent des pertes comptables : entreprise en liquidation ou au contraire entreprises débutantes dépensant massivement pour le développement de leur activité.

 

Au delà de l’illusion statistique, je m’interroge sur la pertinence de la charge très idéologique contre les dividendes et les rachats d’actions, la citation la plus caractéristique étant : « Ce n’est pas le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital qui pose problème, c’est son utilisation : les profits servent surtout aux actionnaires à mener grand train, les efforts des salariés servent surtout à ouvrir l’éventail des salaires dans le haut de la hiérarchie. » Passons sur le mélange des genres : je ne vois pas en quoi la politique de distribution de dividendes a quoi que ce soit à voir avec l’augmentation des inégalités salariales au sein de l’entreprise…

Ce qui me frappe c’est l’affirmation : les profits servent surtout aux actionnaires à mener grand train. Il n’est pas douteux que ce soit le cas pour certains d’entre eux, les révélations récentes dans la presse sur l’utilisation que certains actionnaires de Loréal faisaient de leurs dividendes viendraient à accréditer cette thèse mais est-ce réellement le comportement majoritaire ? Un exemple concret permet d’en douter. En 2009 la société Saint Gobain a donné le choix à ses actionnaires : un payement de leur dividende en cash ou en actions. Les actionnaires ont choisi la deuxième option à 72 %. Ils ont donc préféré réinvestir dans la société plutôt que de dépenser tous leurs dividendes au fouquet’s. A mon humble et non autorisé avis, les plus riches sont même ceux qui réinvestissent le plus. En effet, même s’ils dépensent sans compter, ces dépenses ne constituent en général qu’une fraction de leurs revenus colossaux, le reste étant réinvesti non seulement dans les entreprises ayant versé les dividendes mais aussi dans d’autres offrant des perspectives de croissance plus élevées et ne versant pas forcément de dividendes. Si les entreprises versaient des dividendes supérieurs à leurs bénéfices à des actionnaires dépensant tout ces dividendes en dépenses somptuaires, les riches verraient vite leur richesse fondre et le problème d’inégalité des patrimoines serait vite résolu, le fait qu’il ait tendance à s’accroitre semblerait plutôt indiquer que les riches réinvestissent massivement, seul moyen pour eux d’augmenter leur part de la richesse.

 

Le modèle économique inverse qui verrait les entreprise ne pas verser de dividendes ou de tous petits est-il plus souhaitable ? On peut en douter. Ce modèle verrait des très grosses entreprises au modèle économique mure et ayant achevé l’essentiel de leur croissance potentiel sur leur marché d’origine accumuler des liquidités considérable et on peut se demander si les investissements réalisés seraient vraiment plus pertinents que ceux réalisé par les actionnaires avec les dividendes reversés. Dans ce cas de figure, rares sont les entreprises qui investirait plus qu’aujourd’hui dans la R&D ou la croissance interne, les cas de figures beaucoup plus communs vont être :

-         De la croissance externe en rachetant un concurrent sans que les synergies ne soient forcément positives. Trop souvent le résultat va être 1+1=1 comme le montre la récente fusion d’alcatel avec lucent, les plus anciens se rappelant peut-être de la fusion Saviem - Berlier.

-         Une diversification hasardeuse car les nouveaux métier ne sont pas maitrisés par le management et les synergies douteuses. Le cas vivendi où on a voulu bâtir un géant des télécommunications en profitant des liquidités dégagées par les filiales de services aux collectivité est particulièrement frappant. La diversification de microsoft dans les consoles de jeux est également caractéristique et a coûté très cher initialement. Les diversifications actuelles de google semblent également pour le moins aventureuses et répondent à la même problématique : et maintenant, qu’est-ce qu’on pourrait bien faire de tout ce cash ?

-         Une volonté trop agressive d’investir dans les marchés étranger dont l’environnement est très différent de celui du pays d’origine et n’est pas maitrisé par le management. Voir les déboires de Suez en Amérique latine ou différentes expériences ratées de Carrefour.

 

En reversant une partie de leurs bénéfices aux actionnaires, les grandes entreprises arrivées à maturité participent donc à mon avis à une optimisation de l’utilisation du capital : l’actionnaire a le choix de réinvestir dans l’entreprise (souscrivant au versement des dividendes en actions, en souscrivant aux augmentations de capital ou en rachetant des titres existant sur le marché), réinvestir dans une autre entreprise offrant de meilleures perspectives de croissance, réinvestir dans d’autres type de placement (par exemple l’immobilier pour réduire le déficit de logements) ou consommer. Cela ne me parait pas forcément plus mal que de voir obligatoirement ces bénéfices réinvestis dans une grande entreprise arrivée à maturité et in fine c’est effectivement son rôle de choisir quelle est l’utilisation optimale.

Publié dans Economie

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I
<br /> Il semblerait que je sois passé à coté de l'essentiel: L'auteur de l'article aurait utilisé le montant des dividendes bruts au lieu d'utiliser un montant consolidé. En conséquence les dividendes de<br /> filiales d'un groupe seraient comptabilisés plusieurs fois dans le chiffre utilisé par l'auteur. Plus de détail sur le forum d'éconoclaste:<br /> <br /> http://forum.econoclaste.free.fr/read.php?3,14389<br /> <br /> <br />
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